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Harcourt Romanticist : “Pas un de moins”

Rencontre avec un artiste et activiste du mouvement de contestation de Hong Kong

L’une des images symbolique des début du mouvement de Hong Kong de 2019-2020, inspirée du tableau de Delacroix « La liberté guidant le peuple », est signé du nom énigmatique de Hartcourt Romanticist. Activiste et artiste impliqué·e dans la contestation, il (ou elle) avait accepté à l’automne 2019 de répondre à quelques questions via la messagerie Telegram. Nous avions en particulier échangé sur l’importante et impressionnante production visuelle issue du mouvement et sur la relation entre ce flux de Protest Art et la mobilisation massive des Hongkongais·e·s contre ce qu’ils et elles ont perçu comme une tentative de mainmise du pouvoir de Beijing sur leur territoire 1

Début juillet 2021, Hartcourt Romanticist a rendu publique sur Instagram une nouvelle peinture numérique (comme c’est le cas de temps à autres), qui commémore l’occupation du siège du Conseil législatif (le parlement de Hong Kong) par des manifestant·e·s le 1er juillet 2019. Le titre en anglais de cette œuvre est : « No one less » — peut-être une référence au film « Pas un de moins » (1999) de Zhang Huike, pour signifier que personne ne doit manquer à l’appel. Qui sait. Une bonne occasion en tout cas pour publier l’essentiel de notre échange, resté inédit, de 2019.

“Our Vantage”, 2019. Harcourt Romanticist
“Our Vantage”, 2019. Credit: Harcourt Romanticist

Nous avons été assez surpris par la créativité et l’importance de la production de visuels du mouvement de protestation de Hong Kong. Nous cherchons à mieux comprendre cette réalité, son importance (au-delà de ce que nous percevons via Internet ou la messagerie Telegram), son impact aussi…

— Il n’y a pas l’ombre d’un doute sur le fait que la création visuelle est quelque chose d’important dans le mouvement. Je refuse cependant d’utiliser le terme de « propagande », car nos créations ne sont pas biaisées, elles n’induisent pas les gens en erreur avec des fake news. Nous employons entre nous le terme 文宣 que l’on pourrait traduire par « promotion par la littérature ». Au début du mouvement, nous avons utilisé ces images et ces affiches pour faire circuler l’information et mobiliser en vue des manifestations, et cela a permis de capter l’attention de pas mal de monde à propos du projet de loi controversé sur l’extradition. Le fait qu’il y ait eut un million (le 9 juin 2019), puis deux millions (le 16 juin 2019) de personnes qui sont descendues dans la rue, c’est parti de là. Je suis convaincu que nous allons voir de plus en plus de visuels au fur et à mesure que le mouvement se développera.

Ces affiches, tracts ou flyers, circulent-ils principalement sur les réseaux, ou trouvent-ils aussi leur utilité dans la réalité quotidienne de la mobilisation ? Nous avons pu voir sur des photos, par exemple, que des gens tenaient des affiches à bout de bras dans les cortèges ou lors de rassemblements…

— Je suppose que ce que la plupart des gens voient en ligne sous-évalue le rôle important de cette production créatives. Un bon exemple en est sans doute la pratique du « AirDropping ». De nombreux proches du mouvement ont utilisé cette fonctionnalité propre aux iPhones pour diffuser toutes sortes d’images en les envoyant à des inconnus 2. Cela sert généralement à mobiliser les gens pour des manifestations à venir, ou pour attirer l’attention sur certaines questions précises. Nous sommes en fait assez créatifs lorsqu’il s’agit de trouver des moyens de sensibiliser notre entourage.

Il nous a semblé que cette production visuelle avait plusieurs fonctions : appeler à des marches ou à des actions telles que le blocage de l’aéroport, mobiliser par la diffusion de slogans et de revendications (comme « Be Water », « Five demands, no one less ») ; informer aussi sur des faits, tels que la brutalité policière, la répression. Cela vous semble-t-il être une vision réaliste, ou du moins proche de la réalité ?

— En effet, la production d’images a vraiment permis de mobiliser et d’informer les gens sur les événements. On nous demande souvent comment nous arrivons à rassembler autant de monde aussi rapidement, étant donné qu’il nous manque clairement une plate-forme unifiée. Je suppose que cela est dû en grande partie à nos efforts de promotion, en tout lieu et à tout moment. Et ce type de support est un excellent moyen pour montrer aux gens ce qui ce passe et comment ils pourraient nous aider. Nous ne dépendons pas d’une seule et unique plateforme pour recevoir des informations, ni même pour produire nos propres informations.

Une des choses qui nous intrigue particulièrement c’est le phénomène des « Lennon Walls » (les « Murs Lennon »). Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit exactement ?

— Les « Lennon Walls » de Hong Kong, qui ont été popularisés pour la première fois lors du mouvement des parapluies de 2014, s’inspirent en fait de celui qui a existé précédemment à Prague 3. Les répliques de Hong Kong constituent quelque chose d’important pour la visibilité du mouvement, dans l’espoir d’obtenir davantage de soutien de la part des gens qui ne se sentent pas concernés. Les contestataires disent souvent : « nous en collerons dix de plus pour chacune de celles que vous enlèverez », pour défendre les murs contre les citoyens en désaccord, qui arrachent systématiquement ce qui est collé sur les murs.

Les « Lennon Walls » ce sont des attentes et des expressions rendues visibles dans tous les quartiers de Hong Kong. Ils apparaissent généralement dans les tunnels et les carrefours piétons. Ce sont des lieux où le web fait le lien avec le hors-ligne, où les gens peuvent s’exprimer par des mots, des dessins et où nous pouvons nous rassembler. Le « Lennon Wall » est un moyen important pour diffuser les informations, en particulier pour ceux et celles qui sont moins actifs en ligne, il sert également à contrecarrer les fake news. Si vous passez par l’un de ces murs Lennon, vous pouvez rapidement comprendre ce qui est en train de se passer à Hong Kong depuis quelques temps et sentir la présence des gens. Les murs rapprochent les personnes entre elles, ce sont des lieux qui réunissent les gens par-delà les opinions politiques, les groupes d’âge ou la langue. Et dès lors que tu commence à écrire ou à dessiner quelque chose sur l’un des murs, tu devient partie intégrante du mouvement.

“Crossing the Red Sea”, 2021. Harcourt Romanticist
“Crossing the Red Sea”, 2021. Credit: Harcourt Romanticist

En ce qui concerne votre participation, nous ne connaissons de votre travail que l’unique image 4 que vous avez publiée sur Instagram. Pouvez-vous nous parler un peu de votre engament personnel dans le mouvement, notamment en ce qui concerne la production de visuels ?

— Je peux seulement dire que je suis très impliqué dans le mouvement et que j’y ai joué d’autres rôles que la seule production de visuels. Nous pouvons participer à une manifestation dans la journée et, lorsque nous rentrons chez nous, nous devenons des producteurs d’œuvres d’art. C’est en quelque sorte devenu la nature de ce mouvement où nous partageons spontanément nos tâches en fonction de notre expertise. Et, heureusement, en ce qui me concerne, je suis doté de la capacité à projeter ma vision et ma créativité sur une toile. C’est la raison pour laquelle cette pièce a été créée. Elle est née d’une idée simple : nous écrivons chaque jour une histoire importante, et elle mérite d’être enregistrée de manière à donner une identité au mouvement, tout en canalisant nos émotions. C’est une mémoire visuelle, pour nous, tous ceux et toutes celles qui participent, et contribuent à ce mouvement.

“Not One Less”, 2021. Harcourt Romanticist
“Not One Less”, 2021. Credit: Harcourt Romanticist

Article publié suivant les termes de la licence Creative Commons BY-SA-NC.
Les images sont la propriété intellectuelle d’Harcourt Romanticist, et ne sont pas à vendre (非賣品。), suivant les termes mêmes de l’artiste.
La photo d’appel, utilisée sur les pages d’index, est © Nicolas Asfouri. Elle représente la première création de Harcout Romanticist en situation lors d’une manifestation gans une gallerie marchande. Cette image a été primée lors de l’édition 2020 du World Press Photo.

  1. Le mouvement de contestation qui se développe aux cours des années 2019 et 2020 naît de l’opposition à une projet de loi autorisant les extraditions vers la Chine, devenu le symbole de l’ingérence croissante de la République populaire de Chine sur la région autonome de Hong Kong.|
  2. AirDrop désigne une fonctionnalité développée par Apple, qui permet à ses produits (iPhone, iPad et ordinateurs Apple) d’envoyer de façon directe des fichiers vers  tout autre appareil compatible qui se trouve à proximité.|
  3. Le premier Mur Lennon a été créé en 1989 à Prague, en Tchécoslovaquie, comme mémorial pour John Lennon. Rapidement effacé par les autorités, il fut inlassablement recouvert de nouveaux dessins, messages et graffitis par de jeunes anonymes en mal d’espace d’expression, et en opposition au régime socialiste autoritaire.|
  4. Depuis cet entretien, Harcourt Romanticist a rendu publiques cinq œuvres, visibles sur son compte Instagram et reprise sur ces pages.|